Un voyage vers la lumière

Le regard que l'on porte sur le monde détermine pour une large part l'image qu'il nous renvoie. Il en va sans doute de même avec le cœur de nos semblables qu'il conviendrait toujours d'aborder sans idée préconçue, nanti de cette ouverture d'esprit propre aux grands voyageurs, à ces « anges vagabonds » qu'adorait Jack Kerouac. Or le voyage est justement indissociable de la peinture de Michel Clos, artiste qui a, comme on dit, plusieurs cordes à son arc (autant sans doute qu'à sa guitare). Si Clos est par essence un homme lucide et vaguement désabusé, on ressent comme une dimension édénique, une générosité foncière dans la vision qu'il donne de l'univers et de ses habitants, ses frères, d'où la place éminente qu'il voue à la figure humaine, en particulier à la femme dont la sensualité lui ouvre toutes grandes les portes du ciel. Le décor dans lequel il plante ses personnages est souvent théâtralisé, baroque, acquérant par là même une portée symbolique. Il n'est pas dès lors surprenant qu'il s'intéresse au merveilleux, à l'élégiaque, éléments qu'on retrouve dans la mythologie de chaque contrée où il pose son chevalet ou déploie ses carnets de croquis.

On pourrait le prendre pour Ernest Hemingway, si Hemingway était passé par Saint-Germain- des-Prés et la bohème propre aux poètes. D'un tempérament chaleureux et communicatif, il ne tarde pas à créer un climat propice à l'échange. D'une allure à la fois imposante et pudique, il se met assez vite au diapason de l'auditeur et, pour peu qu'il devine en lui une tacite complicité, la rencontre peut facilement prendre une allure interminable. Tel nous apparaît Michel Clos, artiste dont les grands-parents ont habité Puerto Sollers, délicieux petit port de Majorque, la plus grande des îles Baléares. Créateurs des fameux jardins d'Espagne, ses ancêtres lui ont probablement transmis un certain goût de la luxuriance. Arbres et fleurs accompagnent fréquemment les scènes vivantes qu'il nous propose. Toujours tourné vers le soleil, le peintre a accompli un long voyage initiatique en direction de la lumière, visitant les pays les plus fascinants de la planète, allant du Guatemala au Népal, de Madagascar à l'Indonésie, en passant par la Thaïlande et l'Afrique du Nord.

La palette de Michel Clos s'impose par sa vigueur et son éclat, ses harmoniques très audacieuses. Chacun de ses tableaux est une sorte d'aventure. Il se sent cependant incapable d'en produire un seul à la fois et finit presque toujours par y glisser des personnages. Enseignant pendant de nombreuses années, il ouvrit par la suite son atelier de « La Poulinière », encadrant des élèves se destinant a priori à des métiers « utilitaires » (apprentis bouchers, cuisiniers, artisans, ouvriers de toute sorte), il suscita chez eux certaines requalifications, tant il savait déceler le jardin secret de ses élèves. « Je peins beaucoup la nuit, nous explique Michel Clos, et je corrige le lendemain, à la lumière du jour. » Est-ce pour cela que ses couleurs ont parfois cet aspect onirique, irréel ? « Je suis très jazz et j'aime les vrais poètes. Cela peut quelquefois m'inspirer des mouvements inattendus. » Pratiquant lui-même la musique et très féru de chanson française, il a reçu chez lui la fine fleur du métier : Léo Ferré, Félix Leclerc, Gilles Vignault, Ricet Barrier, Mouloudji, Jean-Roger Caussimon, Bernard Dimey sont venus dans son atelier, ainsi que le grand Raymond Devos, ce funambule des mots. Il possède par ailleurs une collection de masques vénitiens et de marionnettes rares, arborant sur ses murs de très belles figurines venues d'Extrême-Orient (dont de superbes pièces en provenance de Bali). Pour autant Michel n'a rien d'exubérant ou de démonstratif. Ayant fait partie intégrante d'un groupe dont la musique ressemble à celle de nos fameuses « estudiantinas » espagnoles, il manie l'humour et la dérision avec une verve qui rappelle le style des « Quatre barbus » ou des « Frères Jacques ». Baptisée « Les Pépères », cette formation s'apparente au meilleur de la rive gauche, avec un zeste de folklore pour ne pas dire de folk tout court. Leur version d'Etoile des neiges est d'une drôlerie irrésistible.

La peinture, pour Michel Clos, est d'abord une manière d'être, un style de vie à part entière.
C'est ainsi qu'il dessine et peint sur ses agendas et tout ce qui tombe à sa portée quand une idée mutine surgit. Au cours d'un entretien téléphonique, il n'est pas rare qu'on le surprenne à griffonner sur son éphéméride. Il ne dédaigne pas non plus l'autoportrait, non par narcissisme, mais parce qu'il a ainsi « un modèle tout prêt sous la main ». Posant sur ses semblables un regard plein de compassion, il voue une grande admiration aux femmes dont il sait, mieux que quiconque, frôler la nature intérieure. Même nues, les voici, sous le pinceau de Michel, comme parées de leur âme, vêtues de leur sensibilité. « Je suis très cœur et j'adore les visages. Ils sont tellement pleins de mystères, surtout lorsqu'ils se dissimulent sous une figure d'emprunt, comme ces apparitions croisées dans les rues de Venise. » Tous les jouets qu'il n'a pas eus dans son enfance, Michel se les est acquis ou fabriqués un peu plus tard, au fil de ses errances dans le monde des grands (qui n'est pas forcément le grand monde), en gardant toujours cette fraîcheur, cette candeur des cœurs purs, dénués de toute convoitise. On dit parfois que le grand âge nous fait retomber en enfance. Cette expression tendrait à nous faire croire que l'âge adulte est une élévation alors qu'il n'est, le plus souvent, qu'un chute, une terrifiante déperdition par rapport à ce que l'enfant porte en lui de lumière et d'imagination. Le propre de l'artiste est d'oeuvrer avec ces atouts, tous les prétextes lui étant bons pour passer à l'action, soit par le biais de l'écriture, soit par celui des notes ou du pinceau. « Je suis gourmand de matière, confesse Michel Clos. C'est un bonheur égoïste. Quelquefois, je m'en veux de ne pas mieux le faire partager. » Mélange de grâce et de gravité, d'effusion d'amour et de discrète mélancolie, la peinture de Michel Clos est un acte de célébration, un chant d'allègre gratitude à l'égard de tout ce qui vit, de quelque règne que le sujet relève - minéral, végétal, animal, humain.

Exposant, depuis de nombreuses années, au Crédit Agricole de Saint-Lô, Michel Clos y publia voici quelques années un port-folio intitulé « Mes déchirures ». On y trouve outre ses dessins, des textes on ne peut plus touchants comme par exemple celui-ci :

... Et la lune était là, discrète mais présente
Eclairant faiblement la trace de tes pas
Que tu avais laissée en seule récompense
D'une trop courte étreinte dans le creux de mes bras.

La personnalité du peintre tient tout entier dans ce poème qui exprime la délicatesse d'un cœur voué au partage, à la tendresse. Et pour reprendre le titre d'une œuvre du grand poète indien Rabindranath Tagore, sa peinture ressemble à une « offrande lyrique ».

Luis PORQUET, critique