Jardin CLOS

Ce n'est plus la ville. C'est déjà la campagne. C'est un lieu qui lui ressemble et l'habite. Il dit sa vie, ses bonheurs, sa peinture et ses déchirures. Vieux loup de mer à la peau fine : Voici Michel Clos, côté jardin...
Mistigri, chat de gouttière, perché sur un muret de pierre, regarde passer les passants. C'est une ruelle, un chemin de traverse, rien d'une avenue, quelque part dans la ville et déjà loin.
C'est c'est son repaire, sa tanière, nid d'amour qui l'habite depuis toujours. Il y a derrière les volets bleus, un chapeau fatigué, des petits chevaux à bascule, une étagère emplie de cassettes, quelques livres, des croquis et des boites à musique. Au fond du couloir, sous l'escalier, des miniatures, quelques photos, souvenirs de voyages à l'autre bout du monde. Au-dessus de la cheminée, sous le plafond bas, les objets de ses rencontres : une céramique de Rebuffet, un « oeil de bœuf » qui ne dit plus l'heure, quelques photos d'enfants, un masque africain, un chandelier, un bout de pierre extraite du mur de Berlin, encore une boite à musique, deux trois bricoles qui ne servent à rien.
Les choses ne sont pas là par hasard : parfois, Michel Clos dit qu'il les « punit ». Il veut dire qu'il les change de place, les met ailleurs sur une autre étagère, dans un autre coin de la maison. C'est sa manière à lui de leur rester fidèle : s'entourer des choses qu'il aime, qu'il ne veut pas voir partir, ne veut jamais oublier. L'oubli est la pire des choses. Ignorer, ne plus poser son regard : la pire des punitions, « la fidélité, l'amitié, c'est parfois un cadeau empoisonné. Il m'arrive parfois de me sentir trahi ».
Dis-moi, redis moi que tu m'aimes, je te dirai qui tu es : « Je veux sans cesse donner à partager. La peinture est comme un refuge. Une boule de terre ou de pâte à modeler, faite de toutes ces choses qu'on accumule ». C'est le « creuset » qui dit ses bonheurs et ses blessures, ses maux d'amour et son jardin. Clos ? Ça peut vouloir dire maison. La sienne a une âme : elle est faite d'une histoire, de rires d'enfants et de jolis mots doux.
Il n'y a pas si longtemps, le premier étage, sous le toit trapu, vivait des premières esquisses d'apprentis artistes. La « Poulinière » a vu passer plusieurs générations d'élèves dont le « maître » a gardé un souvenir ému. « Plusieurs années après la fermeture de l'école, je n'osais plus monter là haut ». Il en a fait depuis, sa galerie « privée », son jardin secret : il y installe ses toiles, les montre parfois avant qu'elles ne s'en aillent vivre leur vie. Il les peint, les unes après les autres, comme on va à l'échafaud. « Personne ne peut imaginer cette souffrance- là. Je me bats avec mes toiles, je les corrige, je les punis et puis petit à petit je pénètre en elles ».Sa peinture parle de regards et d'amours, de visages aux yeux doux, de paysages et de voyages au long cours. « Je voudrais qu'en regardant mes toiles, on ait envie d'y entrer. » Théâtre de ses pensées, des soirs de lune et d'insomnie : il y a ce qu'on voit, la scène et le rideau rouge et ce qu'on imagine, les coulisses et l'envers du décor. « Je préfère la face cachée des choses »…

Extrait du texte de Philippe Bertin (Saint-Lô édité par Ouest-France)