Ce n'est pas pour me louer, mais le vétéran que je suis (hélas), avait reconnu chez Sylvie Grenn, il y a quelques années, "une parfaite homogénéité d’œuvre, une harmonie, une qualité de la technique", que je m'étais empressé d'écrire dans les journaux et magazines qui m'accueillaient en cette époque heureuse pour les arts.
Je suis particulièrement heureux de persister dans la relation de ces sentences, et même, signe à nouveau, face aux oeuvres récentes de Sylvie Grenn dont le talent embellit tant de galeries vouées à l'art contemporain normand, telles "Lignes", Irène Huisse, Hermann Bréard, Traces...
Après avoir étudié à l'Ecole Régionale des Beaux Arts de Rouen en 1972-1973, Sylvie Grenn a continué son chemin avec des oeuvres bien achevées à la fois généreuses et raffinées, toujours belles et captivantes.
Elle détient une vision profondément personnelle du réel au gré de la poésie de formes interprétées par l'esprit et la compétence artistique. Son évocation toujours audacieuse n'empêche jamais la subtile maîtrise de la couleur et de la matière où se tissent l'ampleur et la lumière.
Et c'est sans compter avec la générosité intelligente de cette artiste qui construit, analyse et magnifie la vocation de peintre avec une volonté et une décision hors du commun.
Sylvie Grenn peut se targuer d'un travail exemplaire et propose tout ce que l'art contemporain sait respecter tout en imprimant la pérennité hardie et superbe de son imagination.

André Ruellan - Critique d'Art

L'oeuvre s'édifie sans bruit. Sylvie Grenn a décidé de réserver un temps à la concentration, à la genèse de la peinture qui viendra. Qui est venue. Elle avait suivi les chemins de la gravure, ce grave combat des ombres et de la lumière, puis elle acquit la couleur, capta l'imprégnation du moment sur la toile, son incrustation en mouvement suggéré, en ardent glissement. Elle se créait des espaces oniriques, des évènements du vent, des passages ludiques...
Elle a dessiné sur de grandes toiles des treillis qui deviennent des végétaux, des entrelacs de vie, d'herbes folles, des rougeoiements. Dans les blancs, dans les espaces où rien ne se produisait que l'attente d'un signe, que l'avènement d'un geste, se sont glissés des traits animés, des gnomes farfelus, des menaces peut-être et sûrement des tendresses ironiques. Sous la dureté apparente du trait, sous ces tensions d'espaces vierges, dans ces laps de temps ouverts à l'inconnu, une fête s'installe. Un peu grinçante parfois, toujours véhémente, toujours têtue. Une fête pour l'invention, pour le moment, une fête pour un printemps d'espoir qui palpite sous l'hiver, qui meurt à force d'avoir menacé.
Sylvie Grenn écarte les tentations du déjà-vu, du déjà exploré, les étiquettes qu'on se colle à la peau et qui gênent la respiration. Elle, elle respire à l'aise parce que sa peinture lui ressemble. Un peu rugueuse au dehors, un rien tendue comme une légère crispation face au monde qui n'est jamais ce qu'on voudrait qu'il fut, elle offre, à l'intérieur, à la durée d'un regard qui s'attarde, l'émoi tendre d'un oiseau qui palpite, la vie besogneuse et gaie d'une tribu d'insectes qui fête le renouveau. Avec le besoin de dire que la peinture n'a pas besoin de barrières puisqu'elle incarne la liberté.

Sylvie Grenn incarne la liberté.

Roger Balavoine

Vitale, ludique, ironique, sérieuse, voire grave : la peinture de Sylvie Grenn porte les forces de la vie. Facile à dire ? Elle prouve. Analyse rapide ? Grenn confirme la densité, la dureté.
A la fois malicieuse et libre, spontanée à la suite d'une longue réflexion, qui est passée par la gravure, par des périodes de silence, aussi la peinture de Grenn possède à la fois la force de la générosité et l'ironie du jeu. Elle est vive et méticuleuse, elle transfère des images abstraites vers des rivages bien tempérés où la réalité peut prendre pied. C'est pour mieux installer l'ambiguïté, mieux semer le doute, mieux déstabiliser le confort...
Le sens de l'imagerie agite des cellules mutines, vagabondes dans un décor "pensé" par une géométrie naturelle parfaitement maîtrisée : juste entre la rigueur et la fantaisie, là où, précisément, l'insolite peut jouer. Grenn aime aussi l'élégance, et sa chorégraphie du plaisir emprunte des voies plus graves : l'extrême mobilité de l'idée attise l'aventure. C'est à partir du "décor" que les choses arrivent, comme si la genèse d'un signe s'en nourrissait pour se reproduire, de cellule en cellule, jusqu'à une réalité quasi-naturelle. Comme si des "petites bêtes" arrogantes s'emparaient de l'espace... Mais Sylvie Grenn dépasse cette représentation : si sa peinture est "mentale", la générosité vient du coeur. Et l'oeuvre s'insère dans le courant actuel, bien à part, et pleinement présente. Roborative, urgente, même. Une liberté à ce niveau devrait être déclarée d'utilité publique.

Roger Balavoine
Paris-Normandie - Mars 1988

Remarquée à l'occasion d'une biennale de Conches par Christian Gobert, maire-adjoint à la culture.
[...] Mais si cette artiste rouennaise admet qu'elle ne peut vivre sans se jeter à corps perdu sur la toile blanche quotidienne, elle exprime son refus de pratiquer l'introspection. "Je ne m'analyse pas", interrompt-elle péremptoirement lorsqu'on l'interroge pour tenter d'en savoir plus sur "le pourquoi du comment" ! Et à côté de l'inlassable verbiage des plasticiens patentés estampillés "bozarts" d'aujourd'hui, ça repose un peu ! D'autant que les Beaux-arts et autres écoles d'arts plastiques, Sylvie Grenn ne les garde pas dans son coeur : "Je m'ennuyais ferme là-bas. Ce que je voulais, moi, c'était peindre !" Après les diplômes, elle s'est donc enfermée dans son atelier pour peindre, enfin !
Une peinture qui s'abreuve du quotidien. Tasses, bols, assiettes, vases... semblent posés ça et là sur la toile parmi d'autres décors plus naturels comme des végétaux, voire quelques rares animaux ou même humains, jamais en entier. Le tout dans une sorte de mélange ordonné car la composition est rigoureuse.
Sans idées préconçues, travaillant "à l'instinct" devant la toile blanche qui la happe, Sylvie Grenn procède par séries qu'elle décline jusqu’à épuisement de l'inspiration. Mais comme le note judicieusement Christian Gobert : "Il n'y a cependant ni ors, ni prolifération d'éléments baroques dans l'oeuvre de Sylvie Grenn."

Ph. Humez

[...] Essentiellement autodidacte, Syvie Grenn a su se créer un langage pictural véritablement personnel. Elle compte indéniablement parmi les plus sérieux espoirs de la jeune peinture actuelle. Le Centre d'art contemporain de Rouen l'avait accueillie ene 1988. Son oeuvre traduit, de façon très métaphorique, tout un questionnement intérieur. Des formes non identifiables s'y affrontent avec véhémence, se détachant sur un fond pilifère équilibrant probablement le contenu de l'oeuvre. Nul doute que se joue, ici, quelque chose d'essentiel à l'élucidation de notre époque. Voilà un art inquiet, rageur et non suspect de complaisance.

L'affiche - Septembre 1990

L'atelier d'un peintre se doit de faire office de thébaïde, d’île déserte ou d'isoloir afin de préserver son imaginaire. En tout état de cause, cette évidence - en est-elle vraiment une pour certains ? - convient parfaitement à l'atelier de Sylvie Grenn, situé rue Géricault, à Rouen, tout proche de l'Aître Saint-Maclou. Un escalier. Deux étages aux murs clairs et aussitôt sous les toits. Rien de tel que cet espace articulé de poutres séculaires pour vivre intensément ses émotions, les dispenser ça et là sur les travaux en cours, ces grandes toiles à l'état de gésine qui paraissent attendre la main, le geste et le regard de celle qui se veut patiente autant qu'exigeante. D'emblée, notre entretien consiste à dresser son itinéraire de peintre, en savoir un peu plus sur son statut de créateur. Selon sa volonté bien entendu. Car cette jeune femme, au regard bleu, a décidé depuis longtemps de faire de sa solitude comme de sa discrétion au sein de notre petit monde artistique l'apanage de sa raison d'être.

L'affiche - Janvier 1991

La revue "Eighty" et "Paris-Normandie" (comme la quasi totalité de la presse régionale) cherchent des "peintres à suivre". Parmi les jeunes de moins de 35 ans, vivant dans la région et n'ayant pas de contrat avec une galerie parisienne, trente deux dossiers nous sont parvenus. Des noms déjà connus, des moins connus, des inconnus parfois. Et une grande surprise : la qualité générale dépasse ce qu'on pouvait espérer. Les diverses tendances de la peinture des années 80 sont représentées avec des styles différents, des recherches courageuses, des pistes prometteuses - et des erreurs de jeunesse. Et pas mal d'invention. Dans ces conditions, le jury a fait front. Composé de Gérard Esquerre, délégué aux Arts plastiques à la Direction régionale des Affaires culturelles ; de Roger Tolmer, artiste peintre ; de Yves Richard, collectionneur d'art, et de Roger Balavoine, journaliste, critique ; il a "sorti" deux noms d'un lot de postulants très serré vers le sommet.
Si celui de François Priser s'est imposé assez facilement, il a été plus délicat de trouver le second artiste sélectionné pour figurer dans un numéro spécial de la revue "Eighty" et participer à une exposition parisienne qui fera ensuite le tour de France. C'est finalement Sylvie Grenn qui l'a emporté.
[...] Sylvie Grenn, qui est Rouennaise, a commencé par la gravure. Venue à la peinture, elle a eu la sagesse de se faire oublier pendant quelques années, le temps de fonder une oeuvre déjà affirmée. Une oeuvre dynamique, éclatée, nourrie d'un force évidente à travers des signes décisifs, bien "tempérés", porteur de rythme.

R.B - Juin 1986