Pour ce natif de Pont-Audemer (27) pas question de dissocier sa vocation de peintre de son métier de décorateur de théâtre : Eric THILLARD a nourri l’une et l’autre du même talent, de la même vision artistique et de la même singularité créatrice.

Les mélomanes normands ne peuvent que se souvenir des splendides et magiques décors qu’il créa aux grandes heures du Théâtre des Arts de Rouen, tels ceux de Carmen, la Tosca, la Norma, l’Or du Rhin, Tristan et Isolde, l’Enlèvement au Sérail et nombre d’autres prestigieux opéras.

Mais en tant que peintre et pastelliste, Eric Thillard s’est forgé une réputation remarquable et constante, où l’impeccable technique le dispute à la superbe maîtrise de son art, évitant habilement un décoratif, somme toute normal, pour accéder à une pureté qui séduit et apaise sous l’élan d’un gestuel contemporain. Avec une sûreté confondante, il témoigne avec raffinement et audace et n’a de cesse d’ensorceler le regard d’une manière active, aux effets d’un pittoresque marqué par la vitalité et l’enchantement.

André RUELLAN, critique d’art.

Quelque part, Debussy écoute : parce qu'on écoute la peinture de Thillard, résonance intemporelle d'un paysage probablement retrouvé au fond de la mémoire, espace de silence au milieu des vaines vagues de la peinture réputée contemporaine - et qui n'est parfois que marchandage.

Quelque part un silence. Un repos du temps, une aire pour respirer au large, entendre le bruissement du vent sur la falaise, le glissement du chat dans l'herbe, au clair de lune. Pour discerner les strates d'un temps retrouvé, ailleurs, sur une pavane oubliée, dans l'odeur de l'herbe qui se courbe au vent.

Quelque part un peintre imagine des architectures pour rêver à des espaces qu'il recréerait, espaces vibrants, attentifs à l'événement attendu, qui viendrait d'autre chose, d'un frôlement de l'idée sur la raison, d'une raison détournée par une harmonie, par une rencontre, un heurt, peut-être, une percussion de cuivre sur une aria nocturne.

Thillard montre - enfin - un ensemble de toiles qu'il porte en lui depuis longtemps et qu'on découvrait, pièce par pièce, dans les salons "pointus". Thillard, homme de théâtre - il dirige l'atelier de décors du Théâtre des Arts - effleure les idées du peintre, les pensées d'un poète épris de calme, attentif aux mouvement des rythmes, aux couleurs du temps, aux réalités de la matière. Car ces imaginaires structurés, ces traverses de la figuration réinventée - l'attache à la figure est souvent nette - racontent des histoires de lune, des apartés singuliers entre l'artiste et le monde. Echappées belles, jeux de signes, nuits à l'écoute du rossignol attendu : sur les traces évidentes d'un travail de recherche, sur les dérives d'une exploration des possibles, Thillard, metteur en scène de l'imaginaire inscrit la vérité du coeur.

Dépassé le coeur, aujourd'hui où les peintres encensés par les thuriféraires du n'importe-quoi figurent la mort de l'art ? Thillard dit non, avec les moyens d'aujourd'hui, avec les recherches des peintres ardents à traverser l'apparence. Il dit non et il construit son oeuvre, personnelle, attachée néanmoins au temps : il n'y a rien dans cette peinture qui ne soit une référence au jour que nous vivons dans les arts plastiques. Les éléments sont là, les signent agissent : et le coeur parle.

Dépassée l'émotion, diront certains. Qu'est-ce que ça représente, maugréeront les autres, englués dans leurs petits bateaux sans impression. Laissons dire : Thillard provoque le choc. Il impose le silence - et le bonheur - devant ses toiles. On s'asseoit devant. On invite Debussy, Rousseau (Le Douanier) et on les laisse parler. Il y a de quoi alimenter leur conversation. Et le plaisir d'amour qui va durer, celui-là.

Roger BALAVOINE,
lors de l'exposition à la Galerie Rollin